A retenir
- • Al-‘Ula, joyau millénaire au cœur du désert saoudien
- • Madâ’in Ṣāliḥ, premier site UNESCO d’Arabie
- • Vision 2030 : moteur de renaissance patrimoniale
- • Hôtels de luxe immersifs dans un décor d’éternité
- • Lieux mythiques : Maraya, Dadan, Jabal Ikmah
- • Nature préservée : réserve de Sharaan et oasis
Je me souviens du silence. De celui qui précède l’aube, quand les ombres s’allongent entre les roches ocre d’Al-‘Ula, et que le désert, dans une retenue solennelle, commence à raconter ce qu’il sait. Ce territoire du nord-ouest de l’Arabie saoudite, encore peu foulé par les pas étrangers, m’a offert l’un des voyages les plus saisissants que j’ai entrepris : une immersion dans l’histoire du monde, un face-à-face avec la pierre, le sable, la mémoire. Située dans la province de Médine, à la lisière de l’immensité du Hijaz, Al-‘Ula s’impose comme l’épicentre discret d’une transformation culturelle d’envergure, soutenue par le programme stratégique Vision 2030 porté par le Royaume. Là, entre tombes nabatéennes, oasis millénaires et expériences immersives de haute facture, le passé et le futur dialoguent sans artifice. Ce texte est le récit d’un lieu qui m’a bouleversée, entre vertige archéologique et projets d’avant-garde.
Aux origines du désert parlant

Terres premières, tribus anciennes
On ne touche pas Al-‘Ula sans effleurer les premiers âges. Ce territoire fut peuplé dès le Ve millénaire av. J.-C., bien avant que les Nabatéens ne sculptent la pierre. C’est d’abord le royaume de Dadan, puis celui de Lihyan, qui inscrivent la région dans le grand commerce caravanier de la route de l’encens. Les rois de Dadan, souverains de pierre et de palmes, régnaient sur une vallée fertile, pivot stratégique entre le Levant et le Yémen.
J’ai vu, gravés dans la roche, leurs noms, leurs décrets, leurs marques. On y lit une langue morte, mais vibrante, entre dadanite et lihyanite, précédant même les écritures arabes. Chaque inscription est un appel du lointain, un témoignage sans intermédiaire. Les ruines de Dadan, aujourd’hui partiellement restaurées, constituent l’un des sites les plus évocateurs de cette époque : tombes monumentales creusées dans la falaise, temples effondrés, pierres couchées sous le ciel.
Hegra, la sœur oubliée de Pétra
C’est en approchant Madâ’in Ṣāliḥ, que j’ai ressenti l’ampleur du génie nabatéen. Ce site, le premier inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en Arabie saoudite, est une révélation. Là, dans une symétrie troublante avec sa sœur Pétra en Jordanie, s’alignent plus de cent tombes monumentales. Certaines encore intactes, d’autres rongées par le vent, mais toutes porteuses de cette esthétique sévère, sobre, presque romaine. On perçoit dans chaque façade l’obsession du contrôle, le souci du sacré, l’écho du désert.
La pierre y parle plusieurs langues : thâmoudique, nabatean, safaitique. C’est une bibliothèque sans livres, un corpus archéologique brut où chaque inscription attend son exégète.
Déclin, effacement, renaissance
Puis le silence. L’abandon. Les routes changent, les royaumes s’effacent, la pierre s’ensable. Durant des siècles, Al-‘Ula se replie sur elle-même. Ce n’est qu’au début du XXIe siècle, avec la création de la Royal Commission for AlUla, que la renaissance s’organise. Aujourd’hui, la ville revit. Les anciens bâtiments en pisé retrouvent leur verticalité. L’oasis se rouvre à la lumière. Et l’oubli cède la place à une ambition rare.
Désert d’étonnement et reliefs insensés

Al-‘Ula n’est pas qu’une bibliothèque minérale. C’est aussi une géographie spectaculaire, un paysage façonné par les siècles et la sédimentation des vents. L’œil y est sans cesse sollicité, happé par les lignes et les absences.
Roches, canyons, éléphants
Le désert autour de la ville est une cathédrale sans toit. Parmi ses figures les plus marquantes, la Roche de l’Éléphant surgit comme une apparition. Arc sculpté par l’érosion, silhouette animale défiant la gravité, elle semble posée là par un caprice d’artiste invisible. À la tombée du jour, quand les projecteurs discrets l’enveloppent d’un halo doré, elle devient le centre magnétique d’un théâtre à ciel ouvert.
Oasis vivante et ingénierie traditionnelle
L’eau, ici, est un miracle quotidien. L’oasis d’Al-‘Ula, longue bande verte entre deux mondes, irrigue palmiers, agrumes, grenadiers. Le système d’irrigation ancestral, le falaj, distribue l’eau selon un partage équitable et millimétré. La fraîcheur y est immédiate, l’ombre dense, les murmures nombreux.
Réserve de Sharaan : sanctuaire naturel
Au cœur des monts déchiquetés s’étend la réserve naturelle de Sharaan. Zone protégée, elle accueille une biodiversité restaurée avec soin. Des gazelles y galopent à nouveau. Des bouquetins de Nubie retrouvent leur territoire ancestral. Et dans le silence absolu, j’ai croisé une autruche solitaire, paisible gardienne de cet équilibre fragile.
Sites phares et monuments singuliers

Hegra : déambulation parmi les morts
Le site de Hegra m’a laissée sans voix. Il ne s’agit pas de simples ruines, mais d’un ensemble urbanistique funéraire, organisé, hiérarchisé, maîtrisé. Les plus belles tombes — comme celle de Lihyan, fils de Kuza — sont d’une symétrie troublante. Une acoustique étrange y flotte, comme si le vent respectait encore le silence des morts.
Vieille ville d’Al-‘Ula : pisé vivant
L’Heritage Village révèle un autre pan de l’histoire : celui d’une vie en pisé, en retrait, en famille. Les ruelles sont étroites, les toits plats, les cours intérieures accueillantes. À la nuit tombée, les maisons s’éclairent, le souq reprend vie, et l’on croise parfois les anciens, vêtus de blanc, qui racontent.
Dadan, Jabal Ikmah et le Mont Athlab
Entre Dadan et Jabal Ikmah, des kilomètres de roche deviennent des archives ouvertes. Sur le mont Athlab, le Diwan offre un espace sculpté dans la roche, à l’acoustique parfaite, peut-être tribunal, peut-être lieu de conseil. Personne ne sait vraiment, et c’est mieux ainsi.
Maraya : miroir de l’avenir
Puis, au détour d’une piste, surgit Maraya. Salle de concert monumentale entièrement couverte de miroirs, elle reflète le désert, le démultiplie, l’absorbe. À l’intérieur, un acoustique exceptionnelle. J’y ai assisté à un concert de oud moderne, où l’écho se mêlait aux chants des pierres.
Ambitions titanesques et stratégie culturelle
Un royaume en reconquête symbolique
Ce qui se joue à Al-‘Ula dépasse le simple réaménagement d’un site archéologique. Dans l’ombre du projet Vision 2030, c’est toute une reconfiguration de l’image du royaume qui s’oriente vers la culture, la création, le tourisme expérientiel. Avec Al-‘Ula comme vitrine, l’Arabie saoudite aspire à écrire un nouveau récit, celui d’un territoire où se rencontrent l’ancestral et l’avant-garde.
La Royal Commission for AlUla (RCU), fondée en 2017, pilote cette stratégie d’ensemble, à la croisée de l’urbanisme culturel, de la préservation patrimoniale et du développement durable. Je l’ai vu : ce n’est pas un chantier, c’est un basculement.
Journey Through Time : un masterplan narratif
Au cœur du dispositif, le plan baptisé Journey Through Time se déploie sur 9 kilomètres et prévoit la création de cinq districts thématiques, d’un tramway silencieux, d’une vingtaine d’« actifs culturels » — musées, galeries, centres d’interprétation.
Trois grandes échéances structurent ce plan : 2023 pour les premières ouvertures, 2030 pour l’intégralité du corridor culturel, 2035 pour l’autosuffisance touristique. Chaque pierre posée vise l’équilibre : sublimer sans trahir.
Afalula : le savoir-faire français au service du désert
Dans ce vaste dessein, la France occupe un rôle stratégique. L’agence Afalula (Agence française pour le développement d’Al-‘Ula), créée par le Quai d’Orsay, injecte expertise et savoir-faire patrimonial. J’ai rencontré sur place des conservateurs venus du Louvre, des architectes, des scénographes de musée. Tous œuvrent à bâtir un nouveau modèle d’archéologie vivante.
Mais les tensions existent : comment préserver sans figer ? Comment développer sans dénaturer ? Des voix s’élèvent, à Riyad comme à Paris, pour rappeler que le passé n’est pas un décor, et que le tourisme n’est pas toujours un salut.
Un futur en devenir : musées, tramway, Pompidou
Parmi les projets les plus emblématiques à venir, l’ouverture annoncée en 2028 du Centre Pompidou Al-‘Ula incarne cette volonté d’enracinement moderne. Ce ne sera pas une simple annexe muséale, mais un laboratoire du dialogue entre patrimoine et art contemporain.
Autour, d’autres initiatives se profilent : galeries en plein air, ateliers d’artistes en résidence, un tramway électrique traversant l’oasis, des festivals de littérature, de musique ancienne, de cinéma expérimental.
Hébergements d’exception dans le sable et la lumière

À Al-‘Ula, l’hospitalité n’est jamais anodine. Les hôtels qui s’y installent ne cherchent pas à dominer le paysage, mais à le prolonger. Ici, l’architecture s’enfouit dans la roche, se glisse entre les canyons, épouse la courbe des dunes. J’ai dormi dans des lieux rares, où chaque nuit semblait dialoguer avec mille ans d’histoire.
Banyan Tree AlUla : luxe minéral
Au cœur de la vallée d’Ashar, le Banyan Tree offre un équilibre parfait entre raffinement contemporain et nature souveraine. Ses villas creusées dans la pierre, son spa en plein désert, son restaurant sur pilotis… tout ici est conçu pour disparaître dans la beauté du lieu. La nuit, la voie lactée y dessine des constellations au-dessus de votre baignoire en pierre chaude.
Our Habitas AlUla : art de vivre nomade
Avec ses tentes élégantes et ses principes de durabilité, Our Habitas joue une autre partition. Celle d’un luxe discret, soucieux d’impact. Le soir, autour du feu, les conversations vont bon train entre artistes, voyageurs et penseurs de passage. On y parle autant de poésie arabe que d’intelligence artificielle. C’est un refuge et un think-tank.
Dar Tantora : mémoire restaurée
Installé dans une maison traditionnelle de la vieille ville, Dar Tantora est un bijou patrimonial. Les murs en pisé ont été restaurés à la chaux, les plafonds en bois de palmier préservent la fraîcheur. On dort ici dans un silence religieux, entre histoire et sérénité. C’est probablement l’adresse la plus authentique de la région.
Caravan by Habitas : glamping sous les étoiles
Pour une approche plus libre, Caravan by Habitas propose un campement design dans le désert. Confort impeccable, design inspiré, mobilier nomade. La nuit, les caravanes deviennent des observatoires célestes.
Préparer son voyage vers un autre temps
Saisons, lumière et climat
L’automne et le printemps sont les saisons les plus propices à la découverte. Les températures y sont douces, les couleurs du ciel d’une limpidité rare. Janvier, février et novembre constituent les mois les plus agréables.
Y arriver, circuler, explorer
Des vols directs relient désormais Al-‘Ula à Riyad, Djeddah et Dammam. L’aéroport local, modernisé récemment, accueille des jets privés et des compagnies commerciales. Une fois sur place, les excursions guidées sont fluides, bien organisées, avec navettes silencieuses et guides polyglottes.
Se loger, se ressourcer
Les options d’hébergement s’étendent entre résidences patrimoniales, hôtels ultra-luxueux et campements éco-responsables. Les services — spa, yoga, cuisine locale, voitures avec chauffeur — sont à la hauteur de toutes les exigences.
Respect, discrétion, compréhension
Ici, l’éthique de la visite est primordiale. On ne crie pas dans les sites anciens, on ne photographie pas les habitants sans accord. On respecte les lieux comme des sanctuaires vivants. Il ne s’agit pas d’un musée, mais d’un monde en veille, qui nous observe autant que nous le regardons.
Questions critiques et futur incertain
Tout n’est pas linéaire à Al-‘Ula. Les défis sont réels, parfois brûlants. Le risque de sur-tourisme guette, les tensions sur la gouvernance s’expriment parfois dans les journaux internationaux. La durabilité environnementale reste à consolider, malgré les bonnes intentions affichées.
Certaines voix, y compris saoudiennes, s’inquiètent de la muséification d’un territoire autrefois vivant. Les projets ralentissent parfois, des partenariats s’essoufflent, des promesses s’érodent. Mais l’élan est là. Inédit. Et puissant.
Al-‘Ula pourrait-elle devenir demain une capitale culturelle mondiale, tout en restant fidèle à ses racines ? Peut-elle être à la fois sanctuaire et scène, archive et agora ? Ces questions, je les ai posées aux guides, aux archéologues, aux gardiens des lieux. Aucun n’a répondu. Tous ont souri.
Al-‘Ula n’est pas un simple voyage. C’est un déplacement dans le temps, une traversée du visible vers l’invisible, un exercice de silence. J’y ai rencontré des pierres qui parlaient, des routes qui n’existent plus, des horizons sans fin. Le luxe ici ne se mesure pas en étoiles, mais en intensité. Si l’Arabie saoudite veut faire de ce lieu son nouveau visage, elle a choisi un miroir exigeant. Et moi, en repartant, je n’ai rien voulu emporter — si ce n’est cette sensation rare d’avoir été là au moment juste, dans un monde qui renaît.

Amoureuse et dénicheuses de lieux d’exception